Dans un précédent Edito, nous dénoncions les marges captées sur la production agricole par quelques gros acteurs (transformateurs et distributeurs) qui détournent l’agriculture de son sens fondamental : nourrir l’humanité de manière durable. C’est-à-dire produire une alimentation de qualité, en préservant un environnement sain – donc notre santé et le futur de nos enfants – et bien sûr en procurant un revenu décent aux producteurs, ainsi qu’un accès à des produits de qualité pour les mangeurs. La grogne des agriculteurs montre qu’on en est loin et que les réponses politiques vont actuellement dans le sens d’une pression accrue sur l’environnement pour sauver quelques marges en faveur de la rémunération des agriculteurs [1]. Parallèlement, en Belgique et dans quelques autres pays de l’Union Européenne (UE), des groupes de travail se sont mis en place pour éclairer la répartition des marges bénéficiaires tout au long des filières agricoles et en négocier une meilleure répartition.
Car, paradoxalement si les agriculteurs se plaignent d’être mal rémunérés, les grands distributeurs rencontrent le même problème… C’est assez simple à comprendre : d’une part les coûts de la production agricole ont explosé en UE depuis 2021 – de plus 40 à 88% selon les productions – alors qu’ils étaient relativement stables depuis les années 2010 [2]. Sous prétexte de la guerre en Ukraine, la spéculation sur les matières premières est passée par là : souvenez-vous de vos factures de gaz ou d’électricité à la même période… Or, les fermes conventionnelles sont grandes consommatrices d’énergie directe ou indirecte pour les intrants. Ceci dans un contexte où les prix d’achat à la ferme stagnent pour la plupart des productions, voire diminuent car mises en concurrence sur les marchés mondiaux. Et, d’autre part, les enseignes de grande distribution se font la guerre des prix depuis des années et réduisent volontairement leurs marges pour essayer de gagner des parts de marché. Elles communiquent sur le thème, « nous gagnons moins d’1 € sur un caddy de 100 € » mais il s’agit là de moyenne avec une grande variabilité selon les enseignes et surtout selon les produits [3]. Cette marge de 1 € mise en avant par la grande distribution est contre-intuitive pour le citoyen car 1% sur un chiffre d’affaires de dizaine de milliards représente un bénéfice considérable ! Sans oublier que la grande distribution gagne bien davantage par la spéculation financière qu’elle réalise avec l’argent qu’elle brasse en ne payant ses fournisseurs qu’à 60 ou 90 jours alors que le consommateur lui l’a payé le jour de l’achat… Même s’il faut relativiser leur message, il faut reconnaître que ce n’est pas là que filent les marges, c’est bien davantage dans les multiples maillons de la transformation et de la logistique. Et, il est clair qu’au cours des dernières décennies les évolutions tant du mode de production que du mode de consommation ont considérablement allongé les filières.
Cette multiplication du nombre d’intermédiaires à une triple conséquence :
- Une augmentation des marges cumulées et la pression sur certains acteurs – en particulier les agriculteurs qui -comme nous venons de le voir – en tant que premier maillon de la chaîne subissent à la fois l’augmentation des matières premières et la pression sur le prix de vente de leurs produits.
- Une augmentation de distance entre le mangeur et le producteur qui ne permet plus au premier de comprendre les conditions de production et de travail du second.
- Le prix est alors le seul critère – ou presque – qui existe encore dans l’échange économique. Seul le marché autorégulé régit par « la loi de l’offre et de la demande » fixe le prix. La logique de compétition sur ce marché entraine de facto l’établissement de prix injustes pour le producteur et ignore de nombreuses externalités sociales ou environnementales.
Et, Agricovert dans tout cela ? En quoi notre coopérative fait elle la différence ?
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Des filières ultra-courte : producteur – magasin – consommateur
C’est le principe même de notre coopérative de producteurs et de consommateurs. La coopérative ne prend que les marges nécessaires pour couvrir les coûts de logistique et d’infrastructure. Voyons cela par l’exemple : si en tant que consommateur – coopérateur nous achetons le fromage d’une de nos productrices à 22,85 € le Kg chez Agricovert, ce même fromage est vendu à 25,50 € dans une enseigne bio bien connue de la région, soit 12% plus cher. C’est que cette enseigne bio passe par un grossiste pour approvisionner son rayon fromagerie. Rassurons-nous, dans ce cas précis ce n’est pas la productrice qui pâtit de cet intermédiaire supplémentaire, contactée par nos soins, elle nous confirme que son prix de vente est identique pour tous ses acheteurs, qu’ils soient grossistes ou pas [4]. La différence semble être faible mais dans le cas d’Agricovert, c’est elle-même qui livre le magasin alors que le grossiste de l’enseigne bio se rend directement à la ferme et bénéficie du prix « vente à la ferme ». C’est donc le consommateur qui paye – au moins en partie – la marge supplémentaire de l’intermédiaire grossiste. Et, d’ailleurs, avez-vous remarqué que pour la plupart des produits (fromages, légumes, fruits, etc.) Agricovert est 10% moins cher que dans les enseignes bio ou le bio de grande surface ? Et, si vous êtes coopérateur avec les 5% de réduction dont vous bénéficiez, la différence peut atteindre 17% !
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La compréhension des conditions de production et de travail du producteur et la détermination de prix justes
Agricovert communique régulièrement sur ses coopérateurs-producteurs, la qualité de leurs produits, les difficultés qu’ils rencontrent, etc. mais va aussi plus loin ! Nous organisons régulièrement en coopération avec le réseau des Gasap des visites « SPG » (pour Système Participatif de Garantie) dans les fermes de nos producteurs. Visites SPG où producteurs et consommateurs développent une réflexion sur la ferme qu’ils visitent sur la base d’une grille d’analyse. Nous vous parlerons dans une prochaine Newsletter de ce dispositif particulièrement adapté pour développer le dialogue entre producteurs et consommateurs tant sur les techniques de production, les aspects sociaux ou environnementaux, l’équilibre économique, etc. Car, nous sommes absolument convaincus que c’est sur la base d’un tel dialogue que des prix justes peuvent s’instaurer. Le dialogue « socialise » l’échange économique qui dès lors n’est plus uniquement marchand : il se teinte de réciprocité, il s’y développe une relation sociale particulière qui modifie les comportements et ne les réduit plus à ceux d’un « homo economicus » qui cherche à maximiser son intérêt particulier.
Est-ce pour autant que les prix d’Agricovert sont des prix justes pour les producteurs, réfléchis comme une juste rémunération pour vivre ? Ce n’est pas toujours possible ! Même en coopérative et en circuit court, le revenu des producteurs, rapporté à l’unité horaire, n’est en rien comparable avec celui de salariés, même payés au SMIG… Et, si chez Agricovert les producteurs fixent eux-mêmes leur prix, ils le font en fonction d’un prix juste qu’ils auraient estimé et discuté, mais aussi en référence au prix du marché additionné d’une marge qui leur semble raisonnable. Et ceci, pour une simple raison : ils ne peuvent trop s’écarter des prix pratiqués sur le marché au risque de voir leurs clients fuir pour d’autres points de vente jugés plus compétitifs. Il reste cependant que les prix pratiqués par Agricovert sont nettement moins injustes pour le producteur et souvent plus accessibles qu’ailleurs pour le consommateur !
[1] Voir notre Edito du 12 février 2024 disponible ici : https://www.agricovert.be/?p=13566
[2] Voir Courrier International N° 1742 du 21 au 27 mars 2024, p. 41.
[3] Voir : https://www.rtbf.be/article/la-grande-distribution-ne-fait-que-1eur-de-benefice-sur-un-caddie-de-100eur-vrai-ou-faux-11322807 consulté le 15 février 2024.
[4] Soulignons au passage qu’une telle politique de vente est impossible à tenir face aux acheteurs de la grande distribution qui mettent une pression à la baisse sur les prix d’achat aux producteurs.